EXPOSITIONS :

Comment avez-vous décidé de devenir créatrice de mode ?

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu créer de la mode. Comme tant de petites filles, j'ai drapé des tissus sur mes poupées, et ma mère m'a appris à coudre, mais pour moi, c'était une partie essentielle et intrinsèque de moi, il ne pouvait y avoir d'autre choix.

Quel était votre intérêt pour la mode ?   

C'était instinctif. J'étais si jeune quand j'ai su que c'était ce que je voulais faire, je n'ai pas remis en question mes motivations. Si je devais le formuler aujourd'hui, je pense que j'étais attiré par la beauté des couleurs et de la composition, comme si cela avait le pouvoir de tout arranger....

Comment voyez-vous l'industrie de la mode aujourd'hui ?

L'appétit illimité de l'industrie de la mode pour des collections "plus rapides et moins chères" me dérange, mais maintenant nous assistons à l'émergence de collections "conscientes", peut-être que les choses commencent à bouger. C'est difficile, car l'industrie de la mode a créé un monstre, fournissant au public de nouvelles choses constamment à des prix incroyablement bas. Le public doit être (ré)éduqué sur le véritable coût de fabrication, lorsque tous les acteurs du secteur sont correctement payés.

Comment vous est venue l'idée de commencer à créer à partir de textiles recyclés ?

Je travaille avec des textiles anciens et d'occasion depuis les années 80. J'étais attiré par eux instinctivement, j'aimais imaginer comment ils avaient vécu et vieilli, comment ils avaient été aimés et portés. J'aime les belles matières, et à cette époque le "vintage" était des années 50 ou même des années 30 et les tissus et les finitions étaient souvent très beaux. Pour moi, il m'a semblé naturel de "réparer" ces vêtements, de retravailler les matériaux et de leur insuffler une nouvelle vie.

Pensez-vous qu'un produit de mode peut avoir une seconde vie, ou comme vous l'appelez une "âme réparée" ?

Oui, c'est vrai. Mais pour ce faire, les matériaux et la fabrication doivent être de bonne qualité. Quand le temps et l'amour sont entrés dans la création de quelque chose, il semble normal que de telles pièces continuent d'exister. C'est vrai, dans mon travail, j'ai souvent l'impression de réparer des âmes, qui à leur tour nourrissent ma propre âme.

A quel point est-il difficile d'offrir une mise à jour et/ou une création réparée à votre client ?

Si le travail est bon et la création unique, il n'y a pas de problème. Tout dépend de la qualité du travail. Beaucoup de gens ont de belles choses qui ont une signification personnelle pour eux qu'ils aimeraient pouvoir porter à nouveau, peut-être différemment ou même sous une autre forme, mais ils ne peuvent pas parce que le matériel s'est détérioré ou a besoin de réparations. Ou ils veulent pouvoir porter un souvenir, comme un souvenir à l'ancienne. Je n'oublierai jamais le jour où un vieil homme m'a arrêté dans la rue pour me dire que le collier que je portais (un cadeau de mon mari) avait appartenu à sa femme. Il semblait heureux et en paix de le voir aimé et porté à nouveau. Combien de choses sont jetées parce qu'elles sont cassées ou déchirées ? Mon travail consiste à célébrer la détérioration et les marques de l'âge, à créer une nouvelle beauté à partir d'accidents, comme l'incroyable art japonais du Kintsugi, à réparer la porcelaine avec l'or. De cette façon, la pièce est réparée, elle peut revivre, son âme intacte.

Croyez-vous que vous pouvez réduire l'impact de l'élimination de votre produit sur les déchets en le rendant recyclable ou biodégradable ? 

Oui, bien sûr. Tout comme j'utilise des matériaux anciens, des bijoux cassés et des objets trouvés pour mes créations, une autre génération utilisera les perles sur mon travail pour créer quelque chose de nouveau. Et pour l'industrie de la mode, c'est extrêmement important, il y a beaucoup trop de vêtements fabriqués chaque année, et combien finissent en décharge ?

Les matériaux sont-ils difficiles à travailler ? Quels sont les matériaux que vous réutilisez dans vos créations ?

Les matériaux que j'utilise proviennent principalement de la mode "vintage". J'ai amassé toute ma vie, j'ai donc une assez bonne collection de toutes sortes de matériaux. Les plus difficiles à trouver sont les perles comme j'en utilise tant. Je travaille actuellement sur une pièce en utilisant le strass d'une robe des années 1920 que j'ai achetée aux enchères Drouot il y a 20 ans. Au fil des ans, j'ai essayé de réparer la robe, ce qui était impossible car la soie vieillit mal, et j'ai même essayé de la donner à un musée. Personne ne le voulait car il était en mauvais état. J'ai donc finalement décidé d'enlever ces incroyables perles de cristal une par une, pour créer quelque chose de nouveau.

Qu'est-ce qui vous inspire dans vos créations ?

J'ai toujours été inspirée par le début du XXe siècle - les dessins de l'illustrator Erté, les costumes et décors de Bakst pour les Ballets Russes, les vêtements dessinés par Poiret et l'artiste Mario Fortuny, les danseurs Isadora Duncan, Loie Fuller, Nijinsky... Une période où les femmes se sont enfin libérées de leurs corsets et trouvé une véritable liberté de mouvement.

Croyez-vous que cette idée fera passer la haute couture et le prêt-à-porter à un niveau supérieur ?

J'aime à le croire. Cela semble si évident et nécessaire. L'industrie doit continuer à évoluer et à innover dans tous les sens du terme.

Pensez-vous que les gouvernements devraient créer des règlements dans l'industrie de la mode afin de changer le système existant ?

Oui, ça aiderait certainement, mais nous...